Les vaches de Girolata

Mail adressé au maire de Girolata, M. Alfonsi, le 15 juillet 2017

Bonjour,

Je me présente, je suis Florence Juralina, représentante du Parti Animaliste aux dernières éléctions législatives (1e circonscription de Haute-Corse).

On me sollicite tous les jours (locaux et touristes) pour trouver une solution au problème des vaches faméliques de Girolata, et je me demande s’il n’y aurait pas moyen de transformer le problème en un atout.

Ces vaches (corrigez-moi si je me trompe) n’appartiennent à personne et ont bien du mal à passer l’été en raison de leur difficulté à trouver de l’eau et de la nourriture. Elles sont squelettiques et leur état indigne beaucoup de monde. Par ailleurs, j’imagine qu’elles doivent quelque peu vous inquiéter en raison du problème de sécurité qu’elles peuvent représenter. Heureusement, et c’est tout à votre honneur, vous n’avez pas choisi l’option de l’euthanasie, ce qui serait à mes yeux scandaleux.

Les touristes les voient avec étonnement et sympathie. Les animaux sauvages ou redevenus sauvages sont même une des grands attraits de la Corse. Et quand on sait que nous sommes de plus en plus nombreux à demander à ce que les intérêts de tous les êtres sensibles soient pris en compte, pourquoi ne pas distinguer Girolata en en faisant un village modèle non seulement en matière d’écologie (ce que vous avez fait avec la gestion des déchets) mais aussi en matière d’éthique animale ?

Une des propositions du parti animaliste consiste à intégrer des territoires ré-ensauvagés à la Trame verte et bleue, notamment parmi les territoires qui ne sont pas habités. Loin des routes, à l’intérieur du Parc Naturel Régional, Girolata se prête particulièrement bien à recevoir une communauté de vaches libres et pourrait devenir un exemple de cohabitation inter-espèces éthique, telle que l’imaginent par exemple les philosophes de renom Donaldson et Kymlicka dans leur traité de théorie politique Zoopolis. Ces auteurs suggèrent d’octroyer un « statut de résident » aux animaux liminaires (qui se situent entre les animaux domestiques et les animaux sauvages) sur le modèle du statut qu’un état peut octroyer à des étrangers vivant sur son territoire. N’y aurait-il pas de quoi être fier que la Corse s’illustre à nouveau dans l’histoire pour son progressisme et montre la voie au reste du monde ?

Vous-même me semblez être la personne parfaite pour porter un tel projet, puisque vous êtes au croisement de toutes les institutions potentiellement partenaires : vous avez l’oreille de la Collectivité Territoriale, vous connaissez les rouages de l’Europe et les dispositifs européens qui pourraient être utilisables (je suis d’ailleurs venue vous rencontrer à Bruxelles avec mes élèves corses il y a quelques années), vous êtes membre du PNC, remarquablement noté par le site Politique et Animaux pour ses propositions en faveur des animaux et vous êtes manifestement intéressé par les projets écologiques et innovants.

En quoi pourrait consister un tel projet ? Il s’agirait d’abord de reconnaître cette communauté libre, son droit de vivre sur place sans être inquiétée par les humains (mais les clôtures et les politques de stérilisation sont tout à fait envisageables), et pourquoi pas notre obligation de les assister dans les moments où ils connaissent des difficultés exceptionnelles, comme en période de sécheresse, où ils n’ont ni à boire ni à manger, comme en ce moment.

Quoiqu’il en soit, il s’agirait déjà de trouver une solution pour les aider à passer l’été en cours. Serait-il vraiment compliqué pour vous d’organiser une livraison de foin et une fourniture régulière d’eau ? Nous pourrions utiliser les média pour communiquer positivement sur votre gestion de la crise.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition au cas où vous souhaiteriez discuter plus avant du projet.

Bien cordialement,

Florence Juralina

Divagation vaches Corse

« Divagation »

Quand un humain se déplace dans un but précis ou se promène, on ne dit jamais qu’il « divague ». Par contre, quand une vache se déplace dans un but précis ou se promène, elle « divague ».

Pourquoi ? Parce que notre société est toujours spéciste, malgré ce que l’on sait. Parce que beaucoup refusent de reconnaître une volonté aux animaux. Pourtant, quand une vache défonce un grillage, c’est bien pour aller dans un jardin où l’herbe est verte. C’est bien sa volonté qui s’exprime si fort. Mais non, malgré cette évidence, on se permet de juger qu’elle erre au hasard. « Attention, pas d’anthropomorphisme ! », nous disait-on constamment il y a quelques années (ça s’entend beaucoup moins dans les milieux cultivés aujourd’hui).

Je comprends bien l’intérêt de ne pas faire d’anthropomorphisme, d’y aller prudemment quand il s’agit d’interpréter un phénomène. Un crocodile par exemple, n’est sans doute pas triste quand une larme coule au moment où il dévore sa proie (je n’ai pas vérifié, mais il paraît que c’est purement mécanique, le fait d’ouvrir la mâchoire comprime la glande lacrymale et une goutte s’écoule). Mais il serait tout aussi absurde d’affirmer que rien de ce que font les animaux ne nous est intelligible. Quand mon chat me mord le mollet et me regarde intensément, je sais qu’il veut que je lui donne à manger, je n’ai pas besoin d’envisager que je fais peut-être de l’anthropomorphisme. De la même façon, quand une vache se déplace, elle VEUT se déplacer, même si ses raisons peuvent nous paraître absurdes ou insignifiantes. Au cas où il y aurait des sceptiques endurcis, on dispose d’un vaste corpus de données scientifiques sur le sujet.

Donc si une vache VEUT se déplacer, elle ne « divague » pas. Elle se promène, ou elle va quelque part. Comme nous. Parler de « divagation » des vaches, c’est employer les mots de « l’ennemi », de ceux qui veulent, sciemment ou pas, nous faire croire qu’une vache ne se conçoit que parquée.

En Corse, nous connaissons les troupeaux de vaches « libres », et je trouve ça absolument magnifique. Elles sont libres non seulement parce qu’elles ne sont pas enfermées, mais aussi parce qu’elles n’appartiennent à personne. Ce phénomène est assez peu fréquent ailleurs vu l’étonnement et l’enchantement qu’il provoque chez les touristes… et chez moi… et j’espère chez vous…

De l’enchantement, oui, parce que devant un troupeau libre sur une plage, on se retrouve transporté momentanément dans un monde idéal d’égalité, de liberté et même de fraternité. L’enchantement de se voir si semblables et si différents.

On pourrait en tirer fierté, dire « chez nous les vaches sont libres », montrer un modèle de société future où règne la coexistence pacifique entre espèces. Là, il y aurait vraiment de quoi être fier d’être Corse, parce qu’on aurait participé à la déconstruction de la domination, de la même façon que ceux qui ont œuvré à donner le droit de vote aux femmes au temps de Pascal Paoli pouvaient être fiers.

Mais non, on brandit Pascal Paoli à tout bout de champ, mais on n’a rien retenu de son esprit d’ouverture de justice.
« Les vaches provoquent des accidents sur les routes, elles encornent les touristes sur les plages, elles détruisent les jardins, il faut retrouver leur propriétaire et l’obliger à les parquer, si elles n’ont pas de propriétaire, il faut les abattre, c’est malheureux mais il n’y a pas d’autre solution, et de toute façon c’est mieux même pour elles, dans la nature elle n’arrivent pas à survivre, elles se font renverser par les voitures, et quand elles sont malades ou affamées ou assoiffées, elles souffrent encore plus. »

Ce serait vraiment si irréalisable, de clôturer les abords des routes (en ménageant des corridors d’accès pour les animaux) ou de transformer de vastes espaces en sanctuaires, comme les parcs naturels, de soigner les animaux malades, de les aider à trouver à boire et à manger en période sécheresse ?

Qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas l’argent… Ouvrez le journal n’importe quel jour et comptabilisez un peu les millions dépensés pour des projets sans réelle importance… Pourquoi, lorsqu’on parle d’animaux, il n’y a subitement plus d’argent à dépenser ? Parce que nous n’avons pas encore démontré que nous sommes assez nombreux à nous soucier du sort des animaux. Les décideurs peuvent donc se désintéresser de ces questions, puisque ça n’aura pas d’impact négatif sur leur carrière.

Plus on parlera des animaux, plus le sujet gagnera en légitimité. Ne pas reprendre le terme « divagation » à son compte, c’est déjà un acte de résistance. Expliquer pourquoi on le conteste, c’est du militantisme. C’est affirmer que la vie d’une vache a autant d’importance à ses yeux que la nôtre en a pour nous.